Le 23 septembre aura lieu l’équinoxe (dans l’hémisphère nord), marquant le début de l’automne. Pendant cette période de quelques jours, le jour et la nuit ont la même durée. Ce phénomène est identique partout sur terre au même moment.
Les jours sont de plus en plus courts jusqu’à ce que, après l’équinoxe, ils deviennent plus courts que les nuits. Ils resteront ainsi jusqu’à l’équinoxe de printemps, où la longueur des jours redeviendra prédominante.
Étant donné cette alternance annuelle de l’influence du soleil sur la Terre, beaucoup considèrent l’équinoxe d’automne comme le “coucher du soleil” de l’année, et certains vont jusqu’à considérer ce moment comme la “mort” de l’année, car après lui, il y aura une disparition de la lumière du soleil jusqu’à ce que le soleil renaisse six mois plus tard.
Puisque la nature unit le monde autour de ce phénomène de balance qui ne se produit deux fois par an, le Yoga enseigne qu’il est bon de contempler l’équilibre qu’il y a dans nos vies, ou les déséquilibres qui y règnent pour les corriger. Contemplons aussi l’équanimité, observons la beauté du changement de saison.
Source : Dr Robert Svoboda
Le Vijñāna bhairava tantra
Cette pratique de l’équilibre est proposée au Yogin dans les textes majeurs du Tantra.
Le premier verset du Vijñāna bhairava tantra porte sur l’intervalle entre les deux souffles inspirés et expirés tandis que le verset 59 concerne l’intervalle entre deux pensées.
Abhivavagupta et la pratique de l’équinoxe
Le grand Philosophe du Tantra Abhinavagupta parle aussi de l’équinoxe dans son œuvre maîtresse, le Tantraloka. Il s’agit d’élargir l’intervalle entre les différents é́tats (veille-rêve-sommeil profond) pour révéler l’Acte de conscience sous-jacent .
Intervalle entre l’expiration du souffle (prāṇa) et l’inspiration (apāna).
L’exhalaison du souffle désigne en réalité l’extraversion de l’attention « vers » les choses et les êtres, extraversion qui crée notre monde.
L’inspiration, au contraire, est la reprise en soi de ce qui est apparu, à l’intérieur d’un monde propre à chacun. L’inspiration est le retour vers l’intériorité.
Plus l’attention se recentre sur ces intervalles, plus ceux-ci s’allongent et plus le corps, le souffle et l’esprit s’apaisent.
Dans cette paix, cette transparence, le souffle « ascendant » (udāna) correspond à l’éveil de la conscience-Parole non verbale « je suis je » symbolisée par le feu. Cette Parole est la fameuse kuṇḍaliṇī, qui déploie le monde en s’éveillant.
La kuṇḍaliṇī n’est donc qu’un autre nom pour désigner la conscience-parole.
D’ordinaire, elle se déploie dans le chaos : le Soi se sent victime de ses pensées, du language et des émotions suscitées par elles. Mais dans le cadre privilégié de cette pratique, la conscience s’éveille dans le silence, de sorte que les énergies sont désormais perçues comme autant de possibilités au service d’un Soi souverain.
Les habitudes accumulées comme autant de « nœuds » le long du canal central sont alors consumées et transfigurées par le feu de la conscience qui parcourt peu à peu toutes ses possibilités, symbolisées par les phonèmes de l’alphabet sanskrit situés sur les roues qui s’échelonne tout du long de ce canal central.
Arrivé au sommet du crâne, le feu de la conscience en plein réveil est le souffle «omniprésent» (vyāna).
Les pensées et les choses ne sont plus perçues comme des interruptions du silence de la parfaite conscience, mais comme autant d’actes d’adoration du Soi. Tout est reconnu comme offrande et amour du Divin. L’adepte est alors un «parfait» (siddha), incarnation consciente de Śiva.
Ainsi, l’alternance des souffles est le support physiologique des opposés, des hauts et des bas de l’existence, de la dualité et du temps, alors que leur égalisation éphémère est le point d’appui qui permet d’échapper au temps pour remonter vers l’éternel.
L’homme ordinaire ne prête aucune attention à ces intervalles, et c’est pourquoi il reste l’esclave de sa conscience, de ses pensées, de ses émotions. Pourtant à chaque instant cette opportunité de liberté nous est offerte. Cet instant «est nommé égal» quand ces deux (souffles) s’égalisent, (comme s’égalisent) le jour et la nuit (lors d’un équinoxe) à cause de l’interruption de leur accroissement ou diminution ».
« Le souffle égal digère la boisson et la nourriture parce qu’il procure un épanouissement du lotus du cœur et parce qu’il est, durant quelques temps, égalité et interruption de l’inspire et de l’expire et du jour et de la nuit, il est semblable au temps de l’équinoxe ».
Le but de la démarche d’Abhinavagupta n’est pas seulement de faire découvrir l’éternité ou une pure conscience transcendante, mais il est proprement de réintégrer le temps dans l’éternité ou d’«engloutir le temps» (kālagrāsa) afin de ressentir toutes choses comme notre corps propre. La découverte de l’intervalle n’est que le commencement de ce processus. Une fois ce feu allumé, il va consumer peu à peu toute trace de la dualité – définie principalement comme peur, pour ne laisser place qu’à l’éternité de l’instant. Mais cette éternité-là dépasse le temps tout en l’incluant. Elle transcende la dualité tout en l’embrassant.
Source : David Dubois
Abhibavagupta ou la liberté de la Conscience
Kṣemarāja
Cette pratique est décrite aussi par Kṣemarāja le disciple d’Abhinavagupta dans le chapitre 18
Sources : Christopher Hareesh Wallis
Utpaladeva
Utpaladeva est un des maîtres d’Abhibavagupta
Utpaladeva décrit ainsi cette réintégration : «(On dit que ce souffle est) «ascendant» lorsque l’on se trouve dans le «quatrième» état (qui sous-tend les états de veille, de rêve et de sommeil profond), car ce (souffle pareil à un feu) s’élève en s’écoulant vers le haut dans la voie du milieu, après avoir produit l’unité (des paires d’opposés) par l’interruption de l’écoulement (des souffles expirés et inspirés) dans les deux canaux latéraux.
Il est pareil au Troisième œil (de Śiva, car) il a les vertus du feu, dévorant (tout) vers le haut. Quand (le yogī atteint) la perfection en l’absence des limites spatio-temporelles, au-delà du quatrième état, il abandonne (alors tout) « écoulement » (du souffle). C’est l’état de plénitude absolue, nommé « (souffle) omniprésent ». Et ces deux états doivent être atteints, car la puissance du souffle y est consubstantielle au Seigneur suprême ».
Autrement dit, on a dans cet état ultime une sensation infinie, océanique, sans aucune séparation, mais capable d’accueillir une diversité illimitée, sans rien nier.
Ainsi, en demeurant dans l’instant découvert d’abord dans l’intervalle, le Soi retourne progressivement vers la parfaite connaissance de soi qui est l’éternité : « En se familiarisant avec les moments où, ça et là, l’activité de construction mentale s’atténue (naturellement), il y a, pour les êtres soumis au saṃsāra, délivrance progressive de l’état de sujet limité, puisque la souveraineté émerge à tous égard »
Source : David Dubois
Abhibavagupta ou la liberté de la Conscience