Définition occidentale de l’Ego
Dans le monde occidental lorsque l’on évoque l’Ego, on se réfère tout particulièrement à la psychologie de Jung ou la psychanalyse de Freud. Ainsi le Larousse définit l’Ego par le nom donné au moi conçu comme « sujet personnel ».
Pour bien comprendre ce qui va suivre il est important de mettre ces concepts de côté. Non pas qu’il n’aient pas de valeur mais le point ici est de saisir ce que signifie l’ego au sens yogique du terme.
Définition de l’Ego dans le Néo Tantra
Dans certains cercles du Néo-Tantra l’Ego est défini comme une interface qui permet de nous relier à l’exterieur aux autres et à la société. Ce n’est pas ce qui est dit dans la philosophie du yoga et dans les textes du Tantra traditionnel. Cette définition est même en opposition avec ce qui est dit.
Définition de l’Ego dans le Tantra traditionnel
Comment dit-t’on Ego en Sanskrit?
Ego se dit Ahaṃkāra अहंकार en Sanskrit. Le mot est composé de ahaṅ qui signifie “Je” et kāra “fabriquant” de la racine kr “faire” (ce qui a donné en français le verbe créer). Ainsi Ahaṃkāra est le fabriquant du “Je” le faiseur du “Je”, ce qui fabrique l’image de soi.
Ahaṃkāra est un des aspects de l’esprit (Citta ou चित्त) qui génère des images de nous-mêmes qui sont ensuite crues par tous à l’exception des êtres libérés/éveillés.
Pour le yogin, qui est en marche vers ce processus d’éveil, parfois il s’identifie à ces images et parfois il parvient à s’en détacher ou plus précisément à ne pas s’y attacher.
Ce qui est important c’est de bien comprendre que l’ego n’est rien d’autre qu’un conglomérat persistant d’idées et de pensées sur soi que l’on croit.
Ahaṃkāra est avant tout un verbe et non un nom. C’est donc une capacité fonctionnelle de l’esprit à générer des images de soi. Lorsque ces images de soi sont crues, elles deviennent persistantes.
L’ego n’est pas vraiment une chose, ce n’est pas vraiment une entité statique.
Il s’agit plutôt d‘images de soi qui sont rafraîchies et maintenues de manière persistante.
Maintenir une image de soi demande une énergie mentale et émotionnelle, que l’on appelle prana Shakti. On peut dire que prana Shakti est dévorée par l’ego, par ce processus qui génére et maintient en permanence notre propre identité.
Le Yogin par la pratique va par conséquent pouvoir redéployer cette énergie pour devenir de plus en plus libre.
Ahaṃkāra et Saṃskāra définition
Nous nous définissons par des termes tels que “Je suis un homme, une femme, un mère, un yogin ou une yogini. Je suis française, je fais tel métier etc…
Toutes ces définitions de nous-mêmes sont assemblées pour former ce “Je”. Cependant ce ne sont pas des concepts séparés, nous sommes femme et mère en même temps. Ainsi les concepts sont attachés entre eux comme avec des cordes et parfois scellés entre eux comme avec de la colle. La colle, ce sont les Saṃskāra.
Les Saṃskāra sont des impressions d’expériences passées non résolues et chargées d’émotions. Ce que nous présentons au monde est une personnalité qui est une sorte de conglomérat de pensées interdépendantes sur soi.
Les images de Soi sont simplement toutes les pensées que vous avez à propos de vous-même, qu’elles soient simples ou complexes, car parfois les pensées que nous avons à propos de nous-mêmes sont liées à tout un tas de suppositions complexes qui se trouvent principalement dans le subconscient. On peut les résumer tout ce que vous mettez après les mots “je” ou “je suis”.
Il n’y a bien sûr aucun problème à dire “je suis professeur de yoga”. Sauf que cela projette quelque chose qui est différent de notre vraie nature et fait appel au discours social sur ce qu’est un professeur de yoga dans la société dans laquelle nous vivons. Il y a un conditionnement culturel, sociétal qui ressort que l’on en soit conscient ou pas.
On ne peut pas vivre en société sans l’ego
Si nous devons éliminer l’ego, pourrions-nous fonctionner dans la société ?
D’un point de vue yogique, cette objection n’a aucun sens, parce que tout ce qui est naturel pour nous, toute action ou comportement qui nous est naturel ne nécessite pas une image de soi comme support de signification.
Une mère peut trés bien s’occuper de ses enfants sans avoir une image de ce qu’elle est supposée être…à quoi doit ressembler une bonne mère? à quoi ressemble une mauvaise mère? Toutes ces questions utilisent notre énergie et génèrent de la souffrance.
Tous les mammifères maternent leurs enfants sans avoir une image de soi. Il n’ont pas notre language, ils n’ont pas de culpabilité de ne pas bien faire les choses et ça fonctionne!
Penser en permanence à être à la hauteur de cette image de soi culturellement conditionnée à ce à quoi ce rôle de mère est censé ressembler, ou devenir plus sensible à ce qui se passe, a ce qui est réellement demandé d’un moment à l’autre dans la réalité. Qu’est-ce qui est le plus important?
Comment se relier aux autres sans l’Ego?
Dans l’interaction que nous avons avec d’autres humains, faisons l’expérience de déplacer notre point de référence de l’ auto-référencement vers une référence relationnelle où vous vous connectez constamment à la réalité, peu importe ce qui se présente d’un moment à l’autre.
Répondre organiquement, en utilisant notre intuition à ce qui semble être nécessaire dans cette réalité, en mettant de côté le rôle que l’on veut jouer. Estimer au mieux et agir. C’est un acte incroyablement profond.
Comme nous l’avons vu l’Ego n’est pas une chose, c’est un enchevêtrement de représentations, de conditionnements, de traces du passé. Mais certaines peuvent se détacher même si d’autres demeurent. Aussi on parle plus d’attrition (usure) que d’annihilation de l’Ego en réalité. Des morceaux de l’image que nous avons de nous-même peuvent tomber et se dissoudre.
Quel est le risque à ne plus nous identifier à l’Ego?
Y’a t’il un risque de devenir une mauvaise personne? quelqu’un qui n’a plus le soucis des autres?
Ce que l’on observe c’est que les gens qui agissent contre les autres sont généralement des êtres qui portent en eux beaucoup de douleurs, de blessures et deviennent horribles les uns envers les autres. Mais les êtres qui n’ont pas ces souffrances ou qui sont guéris sont plutôt attirés par des actes d’amour, par la compassion, par le désir de se connecter et de soutenir les autres et d’être soutenu par eux. C’est ce qui se produit naturellement, car c’est le coeur de ce que nous sommes lorsque nous baignons dans notre véritable nature qui est une nature divine.
Ce coeur de notre être vibre et danse différemment à travers chacun d’entre nous. C’est ce qui fait que nous nous engageons naturellement vers tel ou tel type d’activité.
Nos deux modèles de comportement

Parfois nous portons un masque déformant parce que nous nous engageons dans des activités et des actions qui ne sont pas compatibles avec notre nature, parce que nous menons des activités ou des carrières dans lesquelles nous essayons de plaire à quelqu’un d’autre ou qui reflète l’intériorisation de l’histoire de quelqu’un d’autre sur la manière dont nous devrions être et qui nous devrions être, et parfois nous le faisons même lorsque les personnes sont parties. Combien de gens essaient de plaire encore à leurs parents alors qu’ils sont morts?
Lorsque l’on comprend que l’on a intériorisé cette histoire, qui n’est pas naturelle pour nous et qu’on parvient à s’en libérer, elle cesse dêtre et laisse la place à une joie naturelle de faire ce qui est bon pour nous.
Et parfois nous montrons notre vrai visage. A ce moment là où l’image de soi tombe, ce qui est révélé est la spontanéité divine. C’est la vie qui danse à travers notre corps dans une vibration particulière.
Pour autant faut-il quitter son travail , changer de vie ?
Le Tantrika (pratiquant du Tantra) vit dans le monde. Il n’y a rien à changer à priori. En réalité rien ne change vraiment dans ce que les autres peuvent voir de nous. Notre aspect extérieur reste le même. Ce n’est pas notre travail qui change, ni nos relations mais l’expérience que nous en faisons, elle, change de toute autre manière. Une joie intrinsèque s’installe, une spontanéité, une fraicheur. Il n’y a plus d’obligation d’être quelqu’un de bien, de se comparer aux autres, de se conformer, plus d’injonctions, rien qu’une liberté retrouvée.
Comment se libérer de l’Ego?
Nous avons tous des traumas, des failles, des sensibilités. Certains êtres sont plus affectés que d’autres. Quelquefois les Saṃskāras se transforment en un mal être chronique, en dépression.
Le yoga propose des techniques pour digérer ces émotions qui n’ont pas été résolues voire même pas identifiées. C’est la pratique qui les met à jour. C’est une digestion, pas une guérison. Elles ne remplacent pas les thérapies lorsque des maladies mentales sont présentes.
Prenons un exemple avec les relations amoureuses. Comment j’imagine une relation amoureuse en faisant abstraction des films hollywoodiens, des representations de ce qu’est l’amour véritable ? Nous observons nos amis, nos parents mais prenons-nous le temps de regarder en soi ce que signifie l’amour? de ce qu’est d’être un mari, une épouse, que peux t’on accepter de son partenaire, où sont les limites?
Une fois que ce récit a été intériorisé, il faut encore un peu de travail pour le faire passer à la lumière de la conscience avant de pouvoir l’exprimer à l’autre comme notre hypothèse, nos valeurs, nos besoins.
Est-ce que la mort de l’Ego existe?
On trouve des expériences d’éveil soudain. Elle sont décrites comme un réveil où l’on se rend compte que l’on n’est plus une de nos histoires de nous-même. C’est la structure de l‘Ego qui implose simplement en réalisant que je ne suis aucune de mes pensées à mon sujet, je suis quelque chose, ce que je suis est innommable et invisible. Pour la plupart des gens, pour que cette réalisation se stabilise il faut de la pratique et de l’endurance. Bien souvent la mort de l’ego est en fait une vision temporaire à travers l’ego. L’Ego ressurgit, ressuscite sous une forme plus subtile a travers d’autres Saṃskāras . Il nous faut encore plus de discernement, de conscience. Plus notre corps subtil (qui est le corps énergétique donc notre corps émotionnel) se renforce, plus l‘Ego est affaiblit.
Comment vit-t’on quand on vit sans Ego?
C’est un peu comme un acteur sur scène qui fait de son mieux pour jouer un rôle sans croire qu’il est le personnage. Les mots surgissent spontanément sans que l’on ai besoin de s’identifier comme l’auteur de l’action. Nous ne sommes pas le penseur des pensées, ni le locuteur des mots.

C’est une vie de chaque instant comme il vient avec une présence accrue, une ouverture, une sensibilité sans filtre. Lorsque le corps énergétique est vraiment fort, nous pouvons être présent à la réalité y compris dans les moments difficiles ou douloureux, sans avoir besoin d’une image de soi qui s’interpose entre nous et la réalité. On devient intime avec la réalité. C’est difficile à imaginer car il y a une diversité d’expression même parmi les êtres éveillés. Mais l’on peut entrevoir le potentiel d’un tel état où les pensées surgissent en nous dans l’espace de conscience.
Ce phénomène d’essence distillée de l’expérience de l’être, intéresse aussi les neuro-sciences bien au delà du domaine de la spiritualité.
Pour aller plus loin
Le but de la pratique, le but du chemin, la réalisation ultime est le “Je” tout compris, donc ce n’est pas un anéantissement de la sensation de sa propre existene, mais la réalisation que sa propre existence est inclusive, il n’y a rien qui ne le soit pas.
Le chapitre 20 des sutras de la reconnaissance (Pratyabhijnahridayam) explore ce sujet. Ci-dessous la traduction en Anglais de Christopher Hareesh Wallis et la traduction en Français par David Dubois du chef d’oeuvre de l’auteur Cachemirien Ksemaraja. Le livre sur les Mahasiddhas montre que la libération s’exprime différemment selon les êtres.